L'éclipse de la baisse des taux (assouplissement monétaire)

Des millions d’Américains ont dépensé chacun des milliers de dollars pour admirer l’éclipse solaire du 8 avril.

Tandis qu’ils portaient tous des lunettes spéciales pour pouvoir apprécier ce superbe spectacle, les investisseurs se sont résignés à mettre des lunettes virtuelles pour apercevoir la future baisse des taux directeurs des banques centrales.

Depuis la réunion du 13 décembre 2023, où les gouverneurs de la Fed avaient surpris positivement en projetant 3 baisses de taux de 0,25 % d’ici fin 2024, le fort rallye des actifs financiers reposait sur une nette détente du loyer de l’argent pour cette année.

Les anticipations étaient même excessives jusqu’à 150 points de base (1,50 %), avec une première réduction en mars.

Le retour à la réalité est dur. Désormais le début du prochain cycle d’assouplissement monétaire est décalé. A septembre pour les États-Unis et d’ici juillet en zone euro. Ce décalage de six mois au maximum dans le calendrier peut sembler anodin, mais il contraint les stratèges à revoir leur copie pour le reste de l’année. 

Tout d’abord, ne paniquons pas. Il ne s’agit pas d’une éclipse totale, mais plutôt d’une éclipse partielle.

En effet, la baisse des taux de la Fed a bien été confirmée pour cette année par son président lors des deux dernières conférences de presse. La lumière est bien au bout du tunnel.

Malheureusement nous n’en connaissons pas encore la longueur.

La question n’est pas si, mais quand. La politique monétaire actuelle est jugée restrictive, même par les banquiers centraux eux-mêmes, et doit donc être assouplie dès que les conditions le permettront. Cette rhétorique, bien que floue, a permis une stabilisation du marché obligataire, indispensable pour la bonne tenue des actifs financiers depuis plus de cinq mois.

Comme répétée par les membres de la Fed et de la BCE, la date de la première baisse de taux dépend donc des données économiques.

Au cours de son intervention de ce jeudi 10 avril, C. Lagarde a maintenu ouverte la porte d’une prochaine baisse des taux. A condition, bien sûr, que les progrès sur la désinflation se poursuivent. Elle a répété que d’ici le mois de juin, la banque centrale disposera d’assez de données pour juger si ces espoirs sont satisfaits.

Se pose désormais la question de l’indépendance de la BCE vis-à-vis de la Fed.

Dans le passé et dans la plupart des cas, la BCE a suivi sa consœur américaine de plusieurs semaines à plusieurs mois. Sauf dans les épisodes de crise européenne. Même si Christine Lagarde a affirmé que la BCE ne dépendait pas de la Fed dans sa politique monétaire, commencer le mouvement ferait peser un risque d’une baisse de l’euro face au dollar. Et parallèlement, un risque de subir une inflation importée plus prononcée.

Certes l’institution monétaire européenne se calera avant la Fed et devrait lui emboîter le pas. Mais de quelques semaines et non plusieurs mois. Dans le cas où la banque centrale américaine n’est pas pressentie à agir avant le 18 septembre, la BCE serait plutôt tentée d’attendre le 18 juillet et non le 6 juin, comme anticipé par le marché.

Si elle redoute qu’une période de deux mois est trop importante il y a un risque de décalage. La BCE pourrait procéder à sa première baisse le 12 septembre prochain. Et ceci serait compromettant pour les marchés l’été prochain.

En attendant d’en savoir plus et étant donné le dernier chiffre d’inflation jugé trop élevé aux États-Unis (3,5 % sur un an glissant en mars), la pression est à la hausse sur toute la courbe obligataire. Il s’en suit un arrêt à l’expansion des multiples de valorisation des actifs financiers. Et notamment ceux des actions. Ceci pèse sur les catégories les plus chères, donc les valeurs de croissance.

La sélectivité s’impose. Nous conservons dans ce segment de la cote celles dont on anticipe une excellente publication de résultats du 1er trimestre, au cours de ces prochaines semaines. De surcroît et à cause d’indicateurs économiques plus dynamiques, on favorisera des valeurs bancaires, ainsi qu’une sélection rigoureuse de valeurs plus cycliques, tout en surveillant de près à ne pas augmenter trop le bêta du portefeuille.