Inertie en Helvétie !

C’est historique ! Alors que tous les projecteurs étaient braqués sur la Fed, la surprise n’est pas venue de Washington mais de Berne. Et plus précisément de la Banque nationale suisse (BNS).

Ce jeudi 21 mars - et contre toute attente - la BNS a baissé ses taux directeurs de 0,25%, désormais à 1,5% jusqu’à un certain seuil et à 1% au-delà.

Son président, Thomas Jordan, quasi inconnu du grand public, est devenu une star après avoir marqué son panier de 25 points de base. Ainsi, la BNS est la première des grandes banques centrales occidentales à initier un assouplissement monétaire.

La page d’un cycle de hausse des taux est donc officiellement tournée. Ce cycle avait fait progresser le loyer de l’argent de 2,5%, le passant de -0,75% à 1,75% entre juin 2022 et mars 2024. La réaction du marché des changes a été immédiate, avec une baisse de presque 1% du franc suisse en séance contre le dollar et l’euro.

Lors de sa conférence de presse, Thomas Jordan a tout de suite précisé que ce début d’assouplissement de la politique monétaire a été possible grâce à une lutte efficace contre l’inflation au cours des cinq derniers semestres.  

L'inflation s’établissait à 1,2% en février. Elle s’inscrit depuis quelques mois en-dessous de 2%, dans la plage assimilée à la stabilité des prix. Et les prévisions sont plutôt rassurantes : 1,4% pour 2024, 1,2% pour 2025 et 1,1% pour 2026.

Contrairement à la Fed et à la BCE, la BNS vient donc de déclarer victoire contre ce mal qui sévit durement depuis deux ans.

Étonnant, non ?

Tout est relatif en réalité. La Suisse a été moins touchée que le reste de l’Occident, avec un pic d’inflation à 3,5% en mai 2022, contre 9,1% aux États-Unis en juin 2022 et 10,6% en octobre 2022 en zone euro.

Cet important écart respectif de 5,6% et de 7,1% est essentiellement dû à l’appréciation de la devise. Le franc suisse a ainsi progressé de 20% contre le dollar entre juin 2022 et fin 2024, réduisant ainsi la hausse des prix importés.

La contrepartie de cette monnaie forte est un effet devise négatif dans les comptes des entreprises exportatrices, qui plombent les revenus enregistrés dans des monnaies étrangères. 

La BNS est très active sur le marché des changes pour freiner l’appréciation de sa monnaie. En effet, ce mouvement n’est pas uniquement dommageable pour l’économie de la Suisse. Elle l'est aussi pour son bilan.

Ainsi, des pertes de change ont été enregistrées pour un montant respectif de 29,8 milliards et de 58 milliards de francs suisses en 2022 et en 2023. Même si l’institution indique qu’elle restera active sur le marché des changes, la baisse des taux peut s’avérer être une arme aussi efficace pour faire baisser la devise helvétique.

Rappelons que la Confédération attire beaucoup les investisseurs étrangers. L’excédent des comptes courants pour 2023 s’est élevé à 23 milliards de francs suisses. Ceci grâce à ses exportations nettes, ses revenus de placements et les transferts nets à l’étranger. Tous ces chiffres expliquent pourquoi les taux d’intérêt suisses sont les plus bas en Occident.

Seule la Banque du Japon a des taux directeurs plus faibles. Ils sont désormais à 0% depuis mardi, après un relèvement de 0,10%. Le pays du soleil-levant est décidemment bien à part, avec un taux négatif précédemment à -0,10% et inchangé depuis 2016. La dernière hausse date de 2007. Ce prochain cycle de durcissement monétaire devrait être faible, car le marché anticipe des taux directeurs aux alentours de 0,35% à la fin de 2024. C’est trop peu pour freiner la baisse du yen, pénalisé par les opérations dites de carry trade ou de portage (emprunt en yen pour placer en dollar ou en euro).

La balle est désormais dans le camp de la BCE et de la Fed. Jerome Powell a adopté un ton plutôt accommodant lors de sa conférence de presse de ce mercredi 20 mars. Il fallait trouver une parade verbale face à l’inaction de la banque centrale, pour  faire patienter les investisseurs. Par conséquent, le message a été simple, clair et compris cinq sur cinq : fin des hausses de taux, des baisses à venir en 2024, avec un ralentissement dans la réduction du bilan de l’institution et à la clé la poursuite du rallye boursier.