Une économie en K, des actions en mode K-Pop

C’est la lettre actuellement la plus populaire chez les économistes.

Une économie dite en K se distingue par une forte dichotomie entre les acteurs en forte croissance et ceux en nette stagnation, voire en régression. Nous sommes clairement dans cette situation aujourd’hui. Non seulement à cause de la révolution de l’intelligence artificielle, qui favorise considérablement les bénéficiaires de ces investissements colossaux et pénalise ceux qui seront petit à petit remplacés. Mais aussi en raison des différences profondes entre les niveaux de revenus des ménages.

Auparavant, on pouvait également observer une rupture entre le groupe qui bénéficiait de la mondialisation et celui qui la subissait. Dorénavant, on peut compter d’un côté les victimes de la guerre commerciale américaine et de l’autre les gagnants de cette vague de protectionnisme. Il en est de même pour les entreprises qui surfent sur la vague de la transition écologique et celles qui émettent trop de dioxyde de carbone. Toutefois, malgré toutes ces révolutions et ces ruptures dans la hiérarchie précédemment établie, l’économie mondiale dans son ensemble reste résiliente et les bourses tutoient les sommets.

Les indices actions sont-ils trop euphoriques ? Ou les grandes sociétés mondiales cotées sont-elles les gagnantes de ces changements permanents, grâce à leur forte réactivité ?

Les faits sont sans équivoque. Le monde d’aujourd’hui est très fragmenté, aussi bien chez les ménages que dans les entreprises. Ce n’est pas nouveau, mais le phénomène s’accélère ou, d’un autre point de vue, s’aggrave.

La société américaine en est le témoin le plus probant.

Ainsi, selon les données du BLS (Bureau of Labor Statistics), la consommation du quintile le plus aisé de la population représente quasiment 40 % du total. Ce chiffre monte à plus de 60 % pour les deux premiers quintiles. À l’inverse, le quintile le plus pauvre consomme moins de 10 % (9,15 %) du total. Et les deux quintiles les plus défavorisés consomment moins du quart   (22 %). Ce multiple de plus de 4 entre la consommation du quintile le plus aisé et celle du quintile le plus pauvre se compare à celui de 2,3 en France selon l’INSEE. Il ressort donc extrêmement élevé outre-Atlantique.

Ces écarts expliquent en partie la forte disparité dans la perception de l’économie. Une majorité de la population souffre, mais l’économie tient grâce à une minorité. L’indicateur du sentiment des consommateurs de l’université du Michigan (51 en novembre) s’approche de ses plus bas depuis 45 ans (50 en juin 2022). Pourtant, l’indicateur instantané du PIB américain de la Fed d’Atlanta a accéléré depuis cet été pour atteindre dorénavant le niveau robuste de 3,81 %. 

Selon la Fed de Saint-Louis, au deuxième trimestre, 0,1 % des Américains les plus riches détenaient 23 560 milliards de dollars d’actifs financiers. Contre 10 156 milliards pour la moitié la plus pauvre. De ce fait, les 10 % les plus riches possèdent beaucoup plus que les 90 % restants. Le célèbre effet richesse a donc fonctionné à plein cette année. Dans un environnement où la bourse (l’indice S&P 500) et les obligations américaines (l’indice obligataire Bloomberg US Aggregate) se sont octroyé respectivement plus de 16 % et 7 %.

L’inflation rogne le salaire réel plus durement chez les pauvres que chez les riches. Selon les données internes recensées par les clients de la banque américaine BofA, les revenus des plus riches ont crû de 3,7 % sur un an contre seulement 1 % parmi les plus pauvres.

Avec une inflation de 3 % sur un an glissant en septembre, le salaire réel est donc en croissance chez les plus riches et en décroissance chez les moins aisés. BofA met en avant une hausse des dépenses en cartes de crédit de 2,7 % sur un an glissant chez ses clients les plus riches. Contre à peine 0,7 % chez les plus modestes. Cette disparité n’empêche pas la consommation de progresser globalement et fait la fortune de certaines sociétés de la distribution.

Ainsi, le cours de bourse de Walmart vient de battre une nouvelle fois son record et progresse de 27 % en 2025. Le leader mondial, actuellement la 14ème plus importante capitalisation de la bourse américaine, se positionne bien dans cet environnement si particulier, pour capter les bons clients avec les bons produits. Les investisseurs ont apprécié, lors du Black Friday, la hausse de 9 % sur les plateformes en ligne par rapport à 2024. Les premières estimations du Cyber Monday (ventes de 14,25 milliards de dollars en hausse de 7,1 % selon Adobe’s e-commerce Analytics) constituent un nouveau record historique quotidien aux États-Unis.

C’est le sujet d’inquiétude le plus important actuellement pour l’économie américaine : le ralentissement de l’emploi. Les données publiées mettent toutes en évidence une baisse du nombre de créations d’emplois. Elles sont désormais insuffisantes pour faire baisser le taux de chômage, car inférieures au fameux point mort.

Disparité sectorielle

Les dernières statistiques en provenance de l’ADP (Automatic Data Processing) ont même indiqué une destruction de 32 000 emplois en novembre. Là encore, on assiste à une forte dichotomie entre les secteurs qui licencient (technologie de l’information et services aux entreprises) et ceux qui recrutent (santé et éducation, divertissement et hôtellerie).

Disparité régionale

C’est la même disparité dans les régions. La zone Pacifique a créé 67 000 emplois, tandis que celle du Nord-Est en a détruit 100 000. Dans le même style, on assiste à un monde à deux vitesses entre les petites entreprises (de 1 à 49 employés), qui se sont séparées de 120 000 personnes, alors que les sociétés de taille moyenne (de 50 à 499 employés) et les grandes (de plus de 500 employés) ont embauché respectivement 51 000 et 31 000 personnes. Ce chiffre, bien qu’hétéroclite, a conforté les investisseurs dans l’idée que la Fed allait baisser une nouvelle fois ses taux directeurs le 10 décembre. La probabilité d’un tel évènement se situe désormais autour de 90 % contre 43 % le 14 novembre. La poursuite de l’assouplissement monétaire de la Fed est sans aucun doute un soutien de taille pour les marchés.

La bonne performance des indices boursiers dans ce monde si dur et si cruel s’explique par la surreprésentation des gagnants au détriment des perdants. Ainsi, les neuf premières sociétés du S&P 500, qui sont des entreprises de la technologie, représentent désormais 38 % de la capitalisation boursière totale.

La bonne performance des banques, de Walmart, de Berkshire Hathaway ainsi que celle d’Eli Lilly et de Johnson & Johnson dans la santé a évidemment dopé la performance de la bourse américaine. En Europe, ce sont les gagnants de cette économie en K qui attirent les convoitises. Elles bénéficient d’une « K-prime ». Tandis que les perdants sont délaissés et affichent une valorisation à la « Kasse », avec une forte décote. C’est le même son de cloche en Europe, où ce sont les titres ASML, BNP, Société Générale et Siemens, entre autres, qui ont tiré les portefeuilles.

Cet attrait pour les champions de ce nouveau monde très disparate, avec des flux positifs importants qui amplifient les mouvements, explique en partie la décorrélation entre la bourse et la perception de l’économie selon la majorité de la population. Non, la bourse n’est pas irréelle, mais simplement la vitrine des gagnants. Au fond de nous-mêmes, nous aimerions que le soleil brille davantage pour tout le monde et que la politique de Donald Trump favorise davantage d’Américains, de secteurs et d’autres pays.

- 14,25 milliards de dollars. Nouveau record des ventes quotidiennes aux USA, lors de la journée du Cyber Monday.

- 104,84 $. Nouveau record pour l’action du distributeur Walmart.