Le train de l'IA : fondamentaux solides ou exubérance irrationnelle ?

La Bourse ressemble parfois à un train prêt à quitter la gare, où les passagers se bousculent sur le quai pour ne pas le rater. Aujourd’hui, l’Intelligence Artificielle est la locomotive vedette qui tire les marchés. La peur de ne pas être du voyage se répand plus vite qu’un tweet viral.

Le fameux « FOMO » (Fear Of Missing Out) fait son grand retour, au point que certains investisseurs préfèrent monter en marche. Quitte à embarquer à n’importe quel prix. Pour les plus prudents, il devient de plus en plus difficile de rester à l’écart, sous peine de « manquer une nouvelle fois la hausse ». La frustration accumulée depuis trois ans de ne pas avoir participé à la fête à chaque communiqué de presse mentionnant l’IA est trop forte. Beaucoup capitulent désormais et prennent coûte que coûte ces TGV boursiers tractés par les nouveaux champions de cette révolution technologique.

Certes, les performances et les capitalisations boursières donnent le tournis. L’indice Bloomberg des «Sept Magnifiques» affiche une progression de plus de 246 % sur trois ans (arrêté au 25 septembre), contre 56 % pour l’indice S&P 500 excluant les valeurs des technologies de l‘information. Sans oublier les stratosphériques Nvidia, Broadcom et Meta Platforms, dont les cours ont gagné respectivement 1355 %, 665 % et 452 % sur la même période. Au-delà des pourcentages, les sept premières capitalisations boursières mondiales sont désormais toutes des géants de la tech américaine : Nvidia, Apple, Microsoft, Alphabet, Meta Platforms, Amazon et Broadcom. Leur valorisation totale donne le vertige : 20 680 milliards de dollars, soit 70 % du PIB américain de 2024. 

Un déséquilibre se creuse. Pendant que les stars de l’Intelligence Artificielle voient leurs multiples de valorisation atteindre des sommets, des pans entiers du marché — industrie, consommation, petites capitalisations — peinent à suivre. La rotation sectorielle, si elle existe, reste timide. L’argent se concentre sur une poignée de locomotives, laissant les bonnes vieilles michelines à la traîne. C’est un marché à deux vitesses, où mieux valait être dans le TGV que dans les tortillards. 

Pas si vite. Les optimistes rappellent que l’engouement IA s’appuie sur des fondamentaux solides : les profits sont bel et bien là. Depuis la grande crise financière, les bénéfices par action du secteur technologique mondial ont bondi d’environ 400 %. La moyenne des autres secteurs cumulés n’a progressé que de 25 %.

Une croissance hors norme, qui justifie en partie la prime accordée par le marché. Rappelons que les investissements annoncés par les géants du cloud, baptisés les « hyperscalers », sont sur une tendance exponentielle. Ils sont passés de 100 milliards de dollars en 2022 à plus de 500 milliards en 2027, selon le consensus Bloomberg des analystes.

Rappelons le chiffre monstrueux évoqué par Jensen Huang, dirigeant et fondateur de Nvidia : 3 000 à 4 000 milliards de dollars de dépenses cumulées en infrastructures dédiés à l’IA d’ici 2030. La vague technologique est tout sauf irréelle. Et elle nécessite des investissements massifs en réseaux, centres de données, connexions et énergie. Son utilisation se généralise également : 700 millions d’utilisateurs de ChatGPT ont été annoncés par OpenAIen août dernier. La demande est donc bien tangible.

Chaque grande révolution technologique a connu sa phase d’euphorie suivie d’une correction : chemin de fer, Internet, cryptomonnaies… L’IA ne fera sans doute pas exception. La course actuelle a déjà déclenché une guerre économique intense, marquée par des baisses de prix agressives et une multiplication de concurrents. À terme, cette pression sur les marges pourrait rogner les profits et décevoir des investisseurs ayant payé très cher pour des promesses de croissance infinie.

Probablement un peu des deux. L’essor fulgurant de l’IA rappelle les engouements d’hier, avec son lot d’exubérance irrationnelle… mais il s’appuie aussi sur des transformations bien réelles de l’économie. Si bulle il y a, elle pourrait être de courte durée. Si révolution il y a, elle continuera d’avancer même après l’éclatement éventuel des excès.

En fin de compte, le train de l’IA est lancé à pleine vitesse. Notre rôle d’investisseurs sera de garder l’équilibre : ne pas rater le convoi, certes, mais sans oublier de regarder où l’on met les pieds. Car une locomotive lancée à vive allure peut aussi manquer un aiguillage.

Pour l’heure, profitons du voyage.

- 20 680 milliards de dollars. La capitalisation boursière des 7 premières valeurs technologiques américaines au 25/09.

- 246 %. La performance sur 3 ans de l’indice Bloomberg des 7 Magnifiques au 25/09.