Double Ippon des Nippons contre la spéculation

9 000 milliards de yens, soit l’équivalent de 57 milliards de dollars, c’est la somme colossale dépensée par le ministère japonais des finances pour soutenir sa monnaie cette semaine.

Fortement malmenée depuis quelques jours, la devise nippone accumule les séances négatives. Elle affiche une baisse de 35 % contre le dollar depuis début 2021 et atteint un plus bas depuis 1990.

C’en était trop pour le pays du soleil levant, qui a décidé d’intervenir les 29 avril et 1er mai pour casser la spéculation

Pourquoi une telle intervention et sera-elle un succès ou un échec ?

Le Japon n’est pas un pays développé comme les autres. Depuis l’éclatement de la bulle immobilière au début des année 90, cet État s’était enfoncé dans la déflation et une crise larvée accentuée par une baisse de la démographie.

Il a fallu plusieurs plans massifs, notamment appelés « Abenomics », pour relancer l’activité économique. Néanmoins, l’inflation était restée toujours faible, voire négative pendant 14 années entre 1999 et 2021.

Alors, quand la Fed américaine entamait en 2021 son cycle de durcissement monétaire le plus fort depuis plus de 40 ans, la Banque du Japon était restée passive trop contente de voir enfin ce fléau de déflation disparaître, avec - enfin - une hausse des prix de 2,5 % en 2022.

Cette dichotomie de politique monétaire a provoqué un écart très important des taux directeurs entre les deux pays. Ils se portent à 5,4 % actuellement, après un pic de 5,6 % en mars, au plus haut depuis 2007.

Cette situation paradoxale fait des heureux. Les investisseurs qui procèdent à des opérations dites de portage ou de « carry trade ». Elles consistent dans ce cas précis à emprunter en yen à des taux quasi nuls pour placer en dollar, avec une forte rémunération.

Notons que cette pratique n’est pas adoptée uniquement par des spéculateurs. Les Japonais eux-mêmes se prêtent à l'exercice, heureux d’investir leur argent à l’étranger pour percevoir des intérêts élevés.

Cet exercice n’est pas sans danger, puisqu’il fait courir à l’épargnant un risque de change. Dans le cas où des milliers d’investisseurs vendent du yen pour acheter du dollar, le risque se transforme en gains, puisque la devise américaine s’est fortement appréciée.

Ces derniers jours, la hausse du dollar s’est même accélérée. Ceci fait suite à l’absence de commentaires du gouverneur de la Banque du Japon sur le change, après la réunion de politique monétaire du 26 avril. Il fallait agir et c’est ce qu’il s’est passé.

La contre-attaque s’est déroulée en deux temps. Alors que les opérateurs s’attendaient à une intervention aux alentours des 155 yens pour un dollar, rien n’arriva. Ceux-ci se sont engouffrés dans la brèche pour propulser la paire vers les 160. Grave erreur, car le piège se referma contre eux, avec une double intervention massive de la Banque du Japon les 29 avril et 1er mai, réussissant à faire baisser la devise de l’Oncle Sam à 154 yens pour un dollar.

Depuis, la spéculation a continué de se dégonfler, capitulant en coupant ses pertes devant ce Goliath beaucoup plus fort qu’eux.

Ce n’est pas la première fois que la Banque du Japon procédait à une telle intervention.

Après 11 ans de laisser-faire, une première action eu lieu - en vain - le 22 septembre 2022 au niveau de 145. Ce fut un fiasco, et s’ensuivit la poursuite de la hausse du dollar à 152, soit un plus haut contre le yen depuis 32 ans.

Devant cet affront, les Nippons réagissaient une nouvelle fois par une double intervention les 21 et 24 octobre suivants, dépensant ainsi la somme colossale cumulée de 12 800 milliards de yens, soit plus de 80 milliards dollars. Une fois la spéculation calmée, le dollar avait reflué de 16% jusqu’en janvier 2023. Cette période de soulagement de 3 mois n’a été que temporaire et possible, grâce à des chiffres économiques américains faibles. On peut donc anticiper la même chose pour la baisse actuelle du dollar. Si les deux banques centrales ne réduisent pas cet écart de taux directeurs, les opérations de portage continueront.  La Banque du Japon devra donc choisir entre relever davantage ses taux ou puiser dans ses réserves de change gigantesques de 1 291 milliards de dollars à fin mars, pour faire tomber les investisseurs sur le tatami.