Gros Yo-Yo du Kabuto-Cho      

C’était un véritable lundi noir à la bourse de Tokyo, avec une perte à la clôture de plus de 12% par rapport à vendredi soir, aussi bien pour les indices Topix et Nikkei. Ce 5 août restera donc dans les annales, comme la deuxième pire séance boursière de l’histoire au pays du soleil levant, après celle du mardi 20 octobre 1987 (avec une baisse de plus de 14%), à la suite du krach de Wall Street la veille. Fort heureusement, les pertes de ce mini-krach ont été fortement réduites le lendemain et le surlendemain (soit le 6 et le 7 août), avec un rebond cumulatif en deux jours de plus de 11%. 

Cet indice représente la volatilité implicite en temps réel sur les options négociées sur le CBOE de Chicago sur le sous-jacent de l’indice S&P500. Soudainement, celui-ci a flambé ce lundi 5 août, affichant un plus haut à 65 une heure avant l’ouverture du marché américain pour clôturer la journée à 38, contre 20 en début d’après-midi le vendredi précédent. Ce pic constitue la troisième plus forte tension jamais enregistrée après celle survenue au cours de la pandémie de mars 2020 (85) et durant la crise financière de 2008 (89). Cet excès de peur s’est traduit par une baisse en séance de 6,5% pour le future Nasdaq 100 et de plus de 15% pour le titre Nvidia, avant de limiter la casse à la fin de la journée à respectivement plus de 3% et moins de 6%.

C’est une accumulation de plusieurs facteurs au même moment qui ont provoqué ce mini-krach aussi brutal qu’inattendu. Tout d’abord, il convient de planter le décor. Avant cet évènement, investir sur la bourse japonaise était une des stratégies d’investissement favorites des opérateurs, avec celle des 7 magnifiques aux États-Unis dont Nvidia. Ainsi, l’indice Nikkei avait battu ses précédents records datant de fin 1989 et accumulait une performance dividendes réinvestis de plus 66% en devise locale entre fin 2022 au 11 juillet dernier, soit bien au-dessus de celle de l’indice S&P500 américain (+50% en dollar) et des indices européens Euro Stoxx 50 (+40%) et CAC40 (+25%). 

Ensuite, le financement à court-terme est actuellement quasi gratuit en yen à 0,25%, comparé au coût de 5,50% en dollar et à celui de 3,75% en euro. Cet écart important s’explique par le plus fort durcissement monétaire depuis 40 ans adopté par la FED et par la BCE depuis la création de l’euro. Tandis que ces deux institutions relevaient massivement leurs taux directeurs en 2022 et 2023, La Banque du Japon était restée inactive, trop contente de voir enfin de l’inflation, après avoir lutter en vain pendant plusieurs décennies contre le mal de la déflation. Les conséquences ont été immédiates et perverses. Le yen est devenu la devise de financement favorite, car peu chère avec des taux quasi nuls, voire négatifs en réel si l’on déduit l’inflation japonaise. Une des opérations favorites était celle dite de portage ou de carry trade. Celle-ci consiste à emprunter en yen, et à placer la somme équivalente en dollar après une opération de change (de vente de yens contre un achat de dollars), permettant ainsi d’empocher sur la durée l’écart de rémunération entre les deux devises. Dans une note récente, J.P.Morgan estimait à 4 000 milliards de dollars, les montants consacrés à de telles opérations. Un chiffre colossal !

Cette pratique a été tellement adoptée que sa conséquence a été la forte baisse de la devise nippone qui s’était dépréciée de 14% contre le dollar depuis le début de l’année. Les opérateurs gagnaient sur les deux tableaux, c’est-à-dire sur le portage et sur le gain de change, car ils étaient emprunteurs d’une devise qui se dépréciait.

À la surprise générale, la BoJ a augmenté ses taux directeurs à 0,25% le 31 juillet. Dans son compte-rendu de sa réunion publiée aujourd’hui le 8 août, il est clairement stipulé que l’objectif des gouverneurs est de durcir davantage la politique monétaire, avec une possibilité de voir les taux à 1% d’ici mi-2025, avec de surcroît une diminution de la taille du bilan de la banque centrale. Le même jour lors de sa conférence de presse après la réunion du FOMC de la FED, Jerome Powell affirmait que le sentiment général du comité était que l’économie arrivait presque à un point où il était approprié de baisser les taux directeurs. Cette phrase à immédiatement provoqué une baisse anticipée des taux directeurs de 0,75% d’ici fin 2024. Cette double perspective entre une BoJ qui va augmenter ses taux directeurs et une FED qui va les baisser, a provoqué un renchérissement du yen contre le dollar et a créé une menace sur les opérations de portage décrites précédemment, entrainant un début de débouclement brutale de ces positions. 

Les dernières données économiques outre-Atlantique pointaient vers un ralentissement en vue de l’activité. L’indice ISM manufacturier de juillet publié le 1er août a confirmé cette tendance, avec une baisse supérieure aux attentes à 46,8 contre 48,5 le mois précédent. L’indice des nouvelles commandes s’est également nettement dégradé à 47,4 contre 49,3 en juin. Le lendemain, les données de l’emploi américain ont ravivé les craintes d’une récession, avec un taux de chômage à 4,3% en juillet contre 4,1% en juin. Tout d’un coup, les investisseurs ressortent avec stupéfaction la règle de l’économiste Claudia Sahm, qui prédit une récession quand le taux du chômage augmente de 0,50% lors des 3 derniers mois. C’est effectivement le cas depuis mars dernier où la donnée était à 3,8%. La conséquence a été immédiate, avec une anticipation de baisse des taux de la FED de 1,39% d’ici janvier 2025, et une ruée vers les actifs les plus sûrs (emprunts d’État), au détriment des actions, notamment les plus cycliques. Néanmoins, nous estimons que les données de l’emplois de juillet sont faussées par une augmentation importante de la population active et un nombre élevé de personnes (plus de 400 000) ne pouvant pas exercer à cause des conditions météorologiques, notamment de l’ouragan Béryl. 

L’ensemble des signaux évoqués, à savoir une probabilité de récession plus prononcée, une hausse des indices de volatilité, une remontée du yen et à terme une réduction de l’écart des taux de rémunération entre devises, ont provoqué une forte réduction du risque dans les portefeuilles. Cela s’est traduit pour les fonds spéculatifs par une forte baisse du levier et concrètement par des ventes massives du dollar au profit du yen, des ventes d’actions où les expositions étaient les plus importantes, à savoir les actions japonaises et technologiques et des achats d’emprunts d’État. Certaines banques évoquent une cession cumulée de plus de 60 milliards de dollars de ces acteurs, qui devrait s’achever cette semaine. L’importance de ces flux, dans une période de l’année où la liquidité est traditionnellement réduite, explique le fort décrochage des indices concernés par ces mouvements. La baisse de plus de 10% des valeurs liquidatives des fonds CTA depuis début juillet indique clairement qu’ils étaient les plus vulnérables et sont donc les plus concernés par ces cessions.  

Si la volatilité est l’ennemi du spéculateur, les cours bradés sont les amis de l’investisseur à long terme. Plus les variations sont élevées, plus les risques sont importants dans les livres des spéculateurs à court-terme. Cela se traduit par des pertes latentes plus importantes et des décisions malheureuses de vendre au plus bas pour couper ses positions. En revanche, des cours bradés constituent une excellente affaire pour l’investisseur à long terme, afin de construire son portefeuille à moindre coûts. La chute des bourses de lundi dernier a été l’opportunité d’acheter des titres à des prix inespérés. Selon nous, la volatilité devrait se prolonger durant au moins tout le mois d’août, ce qui devrait étendre la période de bonnes affaires, notamment sur les valeurs de croissance. D’un autre côté, les séances de fort rebond, seront les occasions d’alléger les titres les plus fragiles ou plus vulnérables dans un cycle de ralentissement économique. Maintenir une poche importante de liquidités et être sélectif et agile nous semble être une stratégie adaptée pour la suite de l’été.

Achevé de rédiger le 08 août 2024 par Arnaud Benoist-Vidal