« La mode est un langage de l’instant » – Miuccia Prada

Les paradoxes sont nombreux sur les marchés financiers.

Grâce à une hausse du titre de 12,22 % ce mercredi 15 octobre, soit la plus forte depuis 16 ans, la capitalisation boursière de LVMH a bondi de plus de 32 milliards d’euros.

Cette superbe progression apparaît à première vue surprenante. En effet, celle-ci intervient après l’annonce d’une baisse de plus de 2,6 milliards de son chiffre d’affaires sur les 9 premiers mois de l’année, à 58,09 milliards d’euros. Ce bilan n’apparaît donc pas réjouissant au premier regard. Pourtant, trois analystes financiers n’ont pas tari d’éloges lors de la conférence en ligne organisée pour l’occasion par la société : « Félicitations à toute l’équipe pour une amélioration aussi visible ». « Félicitations pour la forte performance dans cet environnement difficile ». « Félicitations pour ces résultats résilients ».

Pour deux raisons essentielles. Tout d’abord parce que les données publiées étaient supérieures aux attentes. Ensuite, parce qu’en Bourse, comme dans la mode, la tendance est ce qui compte le plus. Nous allons ainsi disséquer en détail les chiffres du leader mondial du luxe qui ont autant séduit. Tout en soulignant les difficultés qui demeurent. 

À cause de la forte hausse de l’euro, aucun de nos champions européens n’échappera cette année à ce terrible effet de change négatif. Ce dernier lamine les chiffres d’affaires et, dans une moindre mesure, les résultats opérationnels. Pour LVMH, cet effet de change est négatif de 2 % sur 9 mois et de 5 % au troisième trimestre.

La parade pour y échapper, et présenter des données les plus pures possibles, consiste à afficher le taux de croissance organique. Cette pratique, utilisée par la plupart des entreprises, permet de mesurer le plus justement possible la performance opérationnelle, en séparant l’effet de change et l’effet de changement de périmètre.

LVMH est experte en la matière, puisque la communication financière est historiquement centrée sur cette donnée, aussi bien pour la totalité du groupe que pour toutes les branches d’activité. Retraité de cet impact négatif, la croissance organique est tout de même restée négative de 2 % sur 9 mois.

Pour autant, les investisseurs ont salué l’amélioration séquentielle flagrante dans les chiffres trimestriels. -2 % au premier trimestre, suivi de -3 % au deuxième trimestre et de +1 % au troisième trimestre. Cette dernière donnée, enfin positive, marque un retour de la croissance organique au niveau du groupe et a donc été largement saluée par les investisseurs. Cette inflexion de tendance apparaît clairement comme un signal d’achat. S’agit-il d’un phénomène durable ?

Notre champion mondial du luxe est divisé en cinq entités. Toutes connaissent ce phénomène d’amélioration séquentielle. La première, et la plus petite de toutes, concerne les vins et spiritueux, pourtant sinistrée au premier trimestre avec un taux de croissance organique de -9 %.

Cette branche a fait preuve d’un beau redressement, puisque celle-ci est désormais en croissance au troisième trimestre (+1 %). Pourtant, tout le monde n’est pas à la fête. En effet, l’activité Cognac a connu une décroissance organique de 12 % sur neuf mois. Et les buveurs de champagnes et de vins festoient avec +3 % de croissance organique sur cette même période.

Cette entité, qui intègre Sephora, DFS (spécialisée dans le duty free) et Le Bon Marché, affiche le meilleur taux de croissance organique au sein de la société depuis deux trimestres et croît actuellement fortement (+7 %). Sephora continue de gagner des parts de marché et DFS bénéficie d’une amélioration du trafic aéroportuaire mondial, surtout à Hong Kong et Macao. 

C’est de loin la branche la plus importante du groupe, avec 27,61 milliards d’euros de chiffre d’affaires sur neuf mois. C’est là où se trouvent toutes les marques prestigieuses comme Louis Vuitton, Christian Dior, Fendi, Céline, Givenchy et Kenzo.

Ce segment n’est pas seulement la vitrine ou l’étendard de LVMH, mais a également été le fer de lance de l’entreprise, avec des taux de croissance impressionnants ces dernières années (+47 % en 2021 avec l’effet rattrapage du Covid, +20 % en 2022 et +14 % en 2023). Ces performances exceptionnelles se sont soudainement arrêtées en 2024. Principalement du fait de la décroissance de la Chine. La zone Asie hors Japon, où est intégrée aussi bien la Chine continentale que Hong Kong et Macao, a enregistré six trimestres consécutifs de baisse d’activité. Cette région a enfin connu une croissance organique de 2 % au troisième trimestre. Ce passage au-dessus de la ligne de flottaison méritait bien d’être salué par les investisseurs.

LVMH continue d’investir dans ses points de distribution et particulièrement dans ses immenses magasins dits « flagship ». Le plus bel exemple est « The Louis » à Shanghai pour Louis Vuitton.

Cet immeuble, en forme d’un immense paquebot et dont les étages supérieurs prennent la forme de bagages de la marque, a créé l’évènement cet été. Il constitue désormais un nouveau concept de la distribution d’articles de luxe. L’expérience étant jugée concluante, un immense immeuble doté d’une autre architecture verra le jour à Ginza au Japon. Dior ouvrira deux sites aux États-Unis. Tiffany et Bulgari, dans la joaillerie, ont également bénéficié de ce type de magasin exceptionnel. Le groupe va continuer à investir pour augmenter la valeur de ses marques.

Cette question a été centrale lors de la conférence téléphonique de mardi soir. Le luxe étant un secteur où les acteurs disposent d’un énorme pouvoir de fixation des prix sur leurs clients, il aurait été facile pour LVMH d’utiliser cette arme pour redresser ses comptes. La direction a répondu sur ce point en stipulant que les prix au troisième trimestre n’ont pas été très différents de ceux du deuxième trimestre. Tout en précisant que l’amélioration a été réalisée à travers une hausse des volumes et du trafic.

« Nous sommes encouragés par la poche d’amélioration que nous observons dans toutes nos activités ». « En résumé, nous sommes confiants. Tout en restant prudents à cause de l’environnement macroéconomique, qui demeure difficile et très volatil ». Cécile Cabanis, la directrice financière du groupe (CFO), a terminé sa présentation par ces deux phrases. Pour montrer sa prudence sur la situation actuelle.

Selon elle, la bataille n’est pas encore totalement gagnée. D’autant plus que la bonne performance du quatrième trimestre de l’année dernière, notamment aux États-Unis avec un effet Trump positif, constitue un comparable difficile cette année pour afficher de la croissance organique. Fort heureusement, la faiblesse des chiffres du premier semestre de 2025 renforce pour elle sa confiance dans les performances de 2026. Et dans l’avenir du groupe. Toutefois, sur la question des marges, la CFO n’a pas fait miroiter d’amélioration immédiate, car celles-ci dépendent d’une amélioration du chiffre d’affaires.

Par conséquent, le fort rebond du titre de mercredi constitue une première étape et le voyage pour retrouver ses plus hauts historiques est encore long. Il faudra pour y arriver un retour de la croissance organique de la division Mode et Maroquinerie à sa moyenne historique. Avec une homogénéité géographique, ainsi qu’une bonne dynamique dans les quatre autres divisions. Cela devrait prendre encore quelques trimestres.

+12,22 %. La hausse du titre LVMH ce mercredi 15 octobre.

13 460 milliards de dollars. Les actifs gérés par BlackRock à fin septembre.

400 milliards de dollars. La baisse de valorisation des cryptomonnaies lors du mini krach du week-end dernier.