L’étau se desserre (hausse des actions)

C’est Noël avant l’heure en bourse.

L’indice S&P 500 a clôturé le 1er décembre au plus haut de l’année à 4594,63 points, et à 200 points de son record historique du 4 janvier 2022. L’indice CAC 40 retrouve presque le niveau de fin juillet, effaçant quasiment la vague baissière de ces 3 derniers mois. Les vendeurs ont donc eu tort à court terme de s’inquiéter de la rhétorique restrictive des banquiers centraux, même s’ils ont placé le produit de leurs cessions sur le marché monétaire.

Le marché directeur, à l’origine de ce contre-choc financier, a été l’obligataire. Les taux longs se sont fortement détendus depuis 6 semaines. À titre d’exemple, le rendement à 10 ans français (OAT) a atteint 2,73 % le 7 décembre, soit une baisse de 83 points de base (0,83 %) depuis son point haut annuel du 19 octobre.

C’est une bouffée d’air frais pour les emprunteurs, que ce soient l’État, les entreprises et les particuliers, qui peuvent solliciter des crédits à un coûts plus abordable. Cette chute (la plus forte depuis l’été 2022 en France) a eu également une répercussion positive et immédiate sur la valorisation des actions. Ainsi, la valeur aujourd’hui des mêmes flux de trésorerie opérationnels d’une entreprise est supérieure à celle de fin octobre, grâce à la seule baisse du taux d’actualisation.

Il est donc logique que les marchés actions montent. Il faut de surcroît illustrer le contexte dans lequel ce phénomène s’est produit. 20 mois après le début du cycle de durcissement monétaire le plus fort depuis 40 ans, ayant provoqué un krach obligataire en 2022, une véritable chappe de plomb pesait sur les marchés financiers. La tenaille s’est enfin desserrée, ce qui a entrainé une réallocation des actifs financiers vers plus d’obligations (à maturité plus longue) et plus d’actifs risqués. 

Parmi les actions, les titres les plus sensibles à l’évolution des taux d’intérêt ont été les plus favorisés. Il s’agit des sociétés les plus endettées et les plus chèrement valorisées. On peut ainsi citer la progression, depuis le point bas du 27 octobre dernier, de 23,44 % et de 17,70 % des indices sectoriels STOXX Europe 600 immobilier et technologie. L’importance de la vague haussière a bénéficié à quasiment l’ensemble de la cote, à l’exception des valeurs du secteur de l’énergie, dont l’indice STOXX Europe 600 pétrole & gaz a régressé de 3,68 %, du fait de la baisse du prix du brut.  

La désinflation actuelle et les signaux de faiblesse de l’activité économique sont des facteurs cruciaux, militant pour la fin du durcissement monétaire et d’un futur assouplissement.

Les questions clés sont quand et à quel niveau d’inflation verrons-nous la première baisse des taux ? Aujourd’hui, les indices des prix de base (hors alimentation et énergie) sont respectivement à 4 % et à 3,6 % aux États-Unis et en zone euro.

Ces données sont encore trop fortes pour permettre à la Fed et à la BCE de déclarer la victoire définitive sur l’inflation. Selon nous, il faudrait que ces données soient inférieures à 3 % pour que ces institutions enclenchent la baisse de leurs taux directeurs. Par conséquent, le calendrier autour du mois d’avril, anticipé par les investisseurs semble prématuré.

Nous pensons que les taux devraient donc se retendre ces prochaines semaines, entraînant une contraction probable des indices actions. Toutefois, tant que la désinflation se poursuit, le scénario d’un assouplissement monétaire n’est que retardé et le potentiel de correction semble limité, sauf si la contraction légère de l’activité cède la place à une récession plus dure. Dans ce cas, les taux longs des emprunts d’États devraient davantage baisser, mais le prix des actions également, du fait d’une forte détérioration des estimations de résultats des entreprises. Cette corrélation positive entre le prix des obligations et des actions cèderait la place à une corrélation inversée. 

Mouvement haussier : de la déprime à l’euphorie

Décidément, les mois se suivent et ne se ressemblent pas. Les indices actions viennent de signer une des meilleures performances de leur histoire pour un mois de novembre (la deuxième plus forte progression depuis 1980 pour l’indice S&P 500).

Les investisseurs sont donc passés de la déprime à l’euphorie en quelques semaines. 

L’ambiance était pesante à la fin du mois d’octobre, après trois mois de baisse des marchés actions. La rhétorique dure des banques centrales, avec en perspective l’absence d’assouplissement de politique monétaire dans un contexte de ralentissement en Europe et en Chine, constituait un mauvais cocktail pour les marchés.

Rien ne présageait donc ce fort mouvement haussier, si ce n’est une saisonnalité plus favorable et des indicateurs techniques nettement survendus. Les vendeurs à découvert ont initié le mouvement, cristallisant leurs gains en se rachetant dès le 27 octobre. Ensuite, tout s’est accéléré, avec des éléments macroéconomiques moins tendus.

Le marché du travail et l’activité aux États-Unis ont commencé à donner des signes de faiblesse après une accélération estivale, avec des créations d’emplois et des indice PMI pour le mois d’octobre inférieurs aux attentes. Le chômage est ainsi remonté à 3,9 %, soit son plus haut niveau depuis janvier 2022. Moins sous pression, les banques centrales n’ont pas modifié les taux directeurs lors de leurs dernières réunions.

De surcroît, le véritable détonateur a été la nette décélération de l’inflation, annoncée dès le 14 novembre outre-Atlantique, avec des prix stables sur un mois en octobre et en progression sur un an glissant de 3,2 %, contre 3,7 % le mois précédent.

Cette tendance a été également confirmée en zone euro, avec une inflation nominale sur un an glissant de seulement 2,4 % en novembre. Soit son niveau le plus faible depuis juillet 2021, après avoir connu un énorme pic à 10,7 % en octobre 2022.

Sur un mois, les prix ont même régressé pour l’indice nominal et celui de base, de 0,5 % et de 0,6 % respectivement. Les conséquences sur le marché obligataire d’une désinflation plus prononcée ont été immédiates : une baisse mensuelle des rendements à 10 ans de 0,60 % outre-Atlantique. Et d’une violence inédite depuis décembre 2008.

Cela fait donc 15 ans que nous n’avions pas connu un rallye obligataire aussi fort en aussi peu de temps. En Europe, les taux longs allemands ont régressé de 0,36 %, soit une baisse identique à celle de mars dernier.

Désormais, les investisseurs ont tourné la page du durcissement n’anticipant plus de hausses des taux directeurs de la Fed, ni de la BCE. Ils prévoient même une détente à partir d’avril et une baisse respective de 1 %, d’ici fin 2024. Ces fortes contractions des rendements provoquent également des arbitrages en faveur du marché des actions.

De nombreuses valeurs du CAC 40 ont connu des hausses mensuelles inédites depuis novembre 2021, enregistrées à l’époque lors de la publication des données préliminaires des vaccins anti-Covid. La palme revient à Unibail-Rodamco-Westfield (+25,12 %), suivie de STMicroelectronics (+20,78 %). 

La belle performance de novembre 2021, avait été suivie par un beau mois de décembre.

Historiquement, la saisonnalité est plutôt favorable sur décembre et janvier, car les investisseurs sont épris d’un vent d’optimisme, laissant supposer que l’avenir est plus prometteur que le présent.

Statistiquement, un investisseur a une probabilité respective de 69 % et de 61 % de gagner de l’argent en décembre sur l’indice S&P 500 et CAC 40.  

Par conséquent, en l’absence de nette tension sur le marché obligataire, la tendance à court terme reste favorable. En effet, il est normal que les multiples de valorisation se tendent quand les taux baissent. De plus, l’indice de volatilité implicite VIX (véritable indicateur de stress du marché) a retrouvé ses plus bas niveaux de 2023. Preuve de la sérénité actuelle des opérateurs.

Nous sommes les premiers à trouver que les anticipations de croissance des profits des entreprises sont excessives pour 2024, mais que le retour à la réalité pourrait intervenir à partir de mi-janvier plutôt que début décembre. 

Sam s’en va et ça revient

« Rendez-nous notre patron, ou nous démissionnons tous ! »

Vous l’avez compris, cette revendication caricaturée n’émane pas des ouvriers de chez Renault, ni des employés de la SNCF. Mais bien de ceux d’OpenAI, institution basée à San-Francisco et spécialiste de l’intelligence artificielle.

Nous ne sommes évidemment pas en France, mais dans le fief de la technologie américaine. La lettre signée par 702 collaborateurs et adressée au conseil d’administration, à la suite du départ du directeur général et cofondateur, Sam Altman, est sans ambiguïté.

« Votre action a mis en évidence votre incapacité à superviser OpenAI. Nous sommes incapables de travailler pour des gens qui manquent de compétences, de jugement et de soin pour notre mission et les employés. Tous les soussignés, pourrions démissionner et rejoindre Sam Altman et Greg Brockman chez Microsoft… Nous pourrions prendre cette décision immédiatement, sauf si tous les membres de ce conseil démissionnent».

Il s’agit d’un évènement extrêmement rare, même au pays de l’Oncle Sam. Il faut dire que tout est atypique dans l’histoire de cette organisation. 

OpenAI Inc. a été créée en décembre 2015. La structure juridique choisie par ses fondateurs (Sam Altman, Greg Brockman, l’illustre Elon Musk et d’autres chercheurs visionnaires) est celle d’une société à but non lucratif.

Cela permet de bénéficier, au même titre que les églises, les hôpitaux publiques, ou les organisations caritatives, d’une exemption fiscale sur les profits générés. En contrepartie d’absence d’actionnaires ou de profits restitués à des bénéficiaires. Le choix est initialement adapté car au tout début de l’aventure, la mission est entièrement noble. En effet, il s’agit de promouvoir et de développer la recherche sur l’intelligence artificielle pour le bien-être de l’Humanité.

Un changement important intervient le 11 mars 2019. OpenAI Inc. annonce la création d’OpenAI LP (Limited Partnership), une société à but lucratif détenue par les fondateurs d’OpenAI.  

L’objectif est d’attirer de nouveaux investisseurs afin d’accélérer le développement de l’intelligence artificielle. Donc mieux servir la mission de la société.

Les nouveaux actionnaires trouvés sont en fait les donateurs présents à l’origine du projet, qui contrairement aux fondateurs, ne disposent pas de droit de vote. Mais ces derniers peuvent bénéficier de la commercialisation des technologies développées par OpenAI. Open AI LP est baptisée en interne société aux profits limités à 100 fois l’investissement de chaque partenaire. 

Le véritable changement de dimension arrive le 22 juillet 2019, quand Microsoft signe un partenariat avec OpenAI pour devenir leur fournisseur exclusif de cloud, avec à la clé un chèque d’un milliard de dollars. Deux autres milliards sont injectés en 2021, avant l’annonce ce 23 janvier 2023 de l’extension du partenariat d’origine et un investissement pluriannuel de plusieurs milliards de dollars. Le succès fulgurant de ChatGPT, assistant virtuel et agent conversationnel, utilisant de l’intelligence artificielle, explique ce nouvel accord signé. Il faut dire que la révolution est bien en marche et que l’usage de l’intelligence artificielle se généralise au quotidien. La progression de plus de 206% sur un an des revenus trimestriels de Nvidia (principal fournisseur de puces et autres composants nécessaires aux équipements utiles à l’intelligence artificielle) le démontre bien.

Les statuts d’OpenAI Inc. stipulent que les membres du conseil ont le droit exclusif d’élire ou de révoquer les administrateurs existants ou supplémentaires. Par conséquent, le départ de Sam Altman provient forcément d’un désaccord avec les autres membres. Ce fut le cas avec Elon Musk en 2018. Officiellement pour conflits d’intérêts (à cause de Tesla, gros débaucheurs d’ingénieurs).

La menace des employés a fonctionné. Une annonce récente sur X stipule le retour de l’ex-dirigeant. Et concomitamment la démission du conseil existant, à l’exception d’un seul membre.  

OpenAI Inc. vient donc de vivre un renouvellement historique de son conseil d’administration, désormais plus favorable à Sam Altman. 

La désinflation américaine prolonge le rallye

C’était sans aucun doute le chiffre le plus attendu du mois. Les investisseurs ont retenu leur souffle ce mardi 14 novembre, avant la diffusion de l’inflation américaine d’octobre.

Les opérateurs de marché avaient besoin d’un indicateur censé renforcer leur scénario de fin du durcissement monétaire en cours. Et ce, après les pauses de la BCE et de la Fed observées lors de leurs dernières réunions et la faiblesse des derniers chiffres de l’emploi aux États-Unis.

Cette perspective paraissait encore audacieuse, voire prématurée auparavant. Car elle allait à l’encontre des discours récents et toujours musclés des banquiers centraux. Les faits leur ont donné raison d’espérer : la hausse des prix en octobre, sur un mois, a été de 0 % pour l’indice nominal et de 0,2 % pour celui de base (hors énergie et alimentation).

Sur un an, l’inflation continue de ralentir respectivement à 3,2 % et à 4 % pour ces deux indices. Par conséquent, cette poursuite du mouvement de désinflation fait baisser la pression. Et elle permet aux institutions monétaires d’être plutôt dans l’expectative prolongée, que dans l’action agressive et restrictive tant redoutée. 

Les conséquences ont été immédiates. Une baisse respective, ce 14 novembre, de 0,19 % et de 0,13 % (soit 19 et 13 points de base) des rendements des dettes souveraines américaines et françaises. Par ricochet, les indices actions ont également salué la bonne nouvelle. Ils ont progressé de 1,39 % pour l’indice CAC 40 et de 1,91 % pour l’indice S&P 500. L’indice NASDAQ 100 quant à lui affiche une hausse de 2,13 %.

Sur le marché des changes, la hausse de l’euro contre le dollar a été également violente. En effet, la monnaie unique s’est octroyée 1,65 % en une seule séance.

Parmi les titres du CAC 40, les valeurs très endettées ont été les grandes gagnantes de la journée. C’est le cas d’Unibail-Rodamco-Westfield (+7,24 %) dans l’immobilier et Alstom (+5,63 %). Les valeurs du luxe, comme Kering (+3,64 %), Hermès (+2,82 %), LVMH (+2,67 %), et les technologiques telles que STMicroelectronics (+3,81 %) se sont également très bien comportées.

Le rebond initié le 27 octobre était à l’origine technique. Il était provoqué par une vague de rachats des vendeurs à découvert, au moment même où les investisseurs avaient sensiblement réduit le risque dans leur portefeuille actions et obligataire.

Avec le chiffre modéré de l‘inflation de mardi dernier, le rallye haussier rentre dans une seconde phase.

Dans le cas où le cycle de durcissement monétaire serait achevé, il convient d’augmenter la duration dans les portefeuilles obligataires afin de sécuriser le rendement futur pour une période plus longue, dans l’éventualité où la Fed viendrait à baisser ses taux directeurs.

Une fois encore, ce phénomène est brutal car les financiers adoptent tous la même stratégie simultanément. Sur les marchés actions, on se rue sur les valeurs de croissance, particulièrement les technologiques. En effet, ce sont celles qui offrent de meilleures perspectives, dans une phase de ralentissement économique. Les titres de sociétés endettées, délaissées depuis 18 mois, pourront également mieux se refinancer à terme et ainsi réduire le montant des intérêts de leurs emprunts. 

Cependant, la baisse des taux longs est sans doute trop rapide aux yeux des banquiers centraux, car il correspond à un assouplissement prononcé des conditions financières, censés être restrictives.

Le rendement à 10 ans a atteint 4,44 % aux États-Unis le 16 novembre, contre un plus haut récent en séance de 5,01 % le 23 octobre, soit une amélioration de 0,57 % en trois semaines. Désormais, ce taux d’emprunt à long terme se situe à un niveau de 1,07 % en dessous de celui des taux directeurs à court terme de 5,5 %.

Par conséquent, ce rallye se prolongera tant que la Fed et la BCE s’abstiendront de faire comprendre une nouvelle fois, qu’aucune baisse des taux n’est envisageable, selon elles, avant une longue période, et pas avant le second semestre 2024.  

Cet effet de change très négatif au 3ème trimestre 

Quel est le point commun entre LVMH, Sanofi, Schneider Electric et Air Liquide, dont les activités sont si différentes ? Toutes ces entreprises viennent de publier, au 3ème trimestre 2023, un chiffre d’affaires érodé par la forte hausse de l’euro depuis un an.

Souvenez-vous. L’année 2022 a été marquée par une nette progression du dollar, dont l’apogée était alors le 27 septembre. La hausse du billet vert depuis le début de l’année passée atteignait à cette date plus de 18 % contre un panier de devises, dont 17,76 % contre la monnaie européenne.

Depuis, le fort durcissement monétaire de la BCE, en retard par rapport à la Fed et matérialisé par un relèvement cumulé de 4 % de ses taux directeurs, a fait retourner cette tendance. L’objectif de la banque centrale était double. Tout d’abord freiner l’activité domestique en augmentant le taux du crédit. Ensuite, lutter contre l’inflation importée en faisant monter l’euro.

Nos champions du CAC 40 peuvent en témoigner, à leurs dépens. Cette politique a malheureusement abouti. Ces mastodontes ont tous une part très importante de leur activité à l’étranger. Et cette activité est facturée en devises étrangères. Par rapport au 3ème trimestre de l’année dernière, le taux de change moyen de l’euro a progressé de 8,10 % contre le dollar. Même constat contre le yen (+ 12,97 %) et le yuan (+14,34%).

L’impact négatif est différent selon la répartition géographique des revenus de chaque entreprise et selon le taux de change appliqué à chaque encaissement au cours de la période. Sur ce point, nous parlons d’un risque de change transactionnel.

De ce fait, pour mesurer sa véritable performance commerciale, une société isole les impacts liés à la variation du cours des devises. Pour ce faire, elle publie des taux de croissance organique et à taux de change constant. Par exemple, LVMH affiche une croissance organique de 9 % au 3ème trimestre. Mais ses revenus en euro n’ont progressé que de 1,06 % sur un an glissant. Dans l’hypothèse où il n’y a pas eu de changement de périmètre (cela a été confirmé sur les données à 9 mois), on peut supposer que l’effet de change était négatif de 8 % environ (7,96 % exactement).  

Pour sa part, Schneider Electric a annoncé une croissance organique de 11,5 %, mais une variation positive d’à peine 0,1 % de son chiffre d’affaires. La différence s’explique par un effet de change négatif de 7,5 % et pour le reste d’un changement de périmètre, lié principalement à la cession de ses actifs en Russie. Encore plus vexant, Air Liquide est en croissance de 1,05 % à données comparables, mais en décroissance de 17,4 % en euros, à cause d’un effet de change négatif de 6,3 % et d’une baisse du cours des matières premières servant de base pour sa facturation.

Finalement, on peut comprendre la frustration des dirigeants et des investisseurs par ces croissances rabotées, alors qu’en réalité les sociétés sont beaucoup plus dynamiques qu’on ne le pense.

Il existe plusieurs solutions.

La première est celle pratiquée par Airbus, qui utilise des outils de couverture, principalement par des ventes à terme. À fin septembre, la société a vendu à terme pour 87 milliards de dollars à un taux de change d’euro contre dollar à 1,23, soit 13 % supérieur au cours actuel. Cela paye, car l’avionneur affiche une croissance de 11,93 % de ses revenus, sans effet de change négatif.

D’autres publient en dollar, comme TotalEnergies.  La baisse de 14,6 % de ses revenus est à associer principalement à la chute de 14 % du prix du baril de pétrole. Autre fait probant, comparons l’effet de change négatif en euro de Sanofi (-7,3 %) à celui en dollar d’Astrazeneca (-1 %).

Une dernière méthode est d’adosser le mieux possible sa base de coûts à celle de ses revenus en devises. Cela permet de ne subir qu’un risque dit consolidation sur le résultat opérationnel, soit un montant beaucoup plus faible.

Dans tous les cas, le bénéfice par action de nos entreprises européennes a été impacté par la hausse de l’euro. Espérons donc que celle-ci soit moins forte pour ces prochains exercices pour la stabilité des actions européennes.

Quand les vendeurs à découvert se rachètent

Les investisseurs européens sont démoralisés, après 6 semaines consécutives de baisse des indices CAC 40 et EURO STOXX 50 entre le 15 septembre et le 27 octobre.

Une série de baisse

Il s’agit de la série la plus longue depuis juin 2012, alors en pleine crise des dettes souveraines de la zone euro. La violence du choc est douloureuse, mais malheureusement pas exceptionnelle en termes de performance négative (respectivement de -7,91 % et de -6,54 % hors dividendes). Les principaux avertissements sur les résultats et leur lourde conséquence sur les titres concernés ont effacé de la mémoire les bonnes publications.

Les estimations des bénéfices par action tiennent bon

Heureusement, les estimations des bénéfices par action pour 2023 tiennent bon et sont très peu révisées à la baisse, même si moins de 30 % des entreprises européennes dépassent les attentes en matière de chiffre d’affaires (chiffre historiquement bas). Cette faiblesse des revenus est logique et en conformité avec une contraction de 0,1 % du PIB de la zone euro au 3ème  trimestre. Alors que les actionnaires broient du noir, les marchés se reprennent enfin cette semaine.

S’agit-il d’un simple répit ou le début d’une tendance durable ?

La semaine dernière, nous avons expliqué l’importance des avertissements sur les résultats, que nous venons de vivre, sur la psychologie des opérateurs, en précisant qu’ils favorisaient les vendeurs à découvert. Ces spéculateurs, travaillant en majorité pour des hedge funds, ont gagné beaucoup d’argent depuis mi-septembre et se sont frottés les mains à chaque fois qu’un accident s’est produit sur une valeur. Ces structures financières ont la particularité de clôturer leur exercice à fin novembre et non à fin décembre.

Vague d’achat sur les titres les plus matraqués

Face à ce magot, de plus en plus lourd, de plus-values latentes, il était tentant de réaliser définitivement ces profits à quelques semaines de la photo-finish. Ce phénomène est en train de se produire actuellement avec une vague d’achats sur les titres les plus matraqués. Dans cette phase si particulière, même les mauvaises nouvelles ont beaucoup moins d’impact négatif sur le cours de bourse. Ce fut le cas dans certains secteurs, comme celui de la chimie où DSM-Firmenich a publié un chiffre d’affaires inférieur aux attentes, sans être sanctionné, car les investisseurs redoutaient le pire et ont été quelque peu soulagés. D’autres titres ont ouvert en nette baisse à la suite de l’annonce des résultats et ont même clôturé la séance sur une note positive. En l’absence de flux positif et donc d’argent frais, matérialisé par des retraits continus depuis plusieurs mois dans les fonds investis en actions européennes, il est plus probable que ces achats constituent des clôtures de position que des initiations de nouvelles lignes dans les portefeuilles.

Dans un tel cas, ce sont encore les vendeurs à découvert qui dictent la tendance et font remonter les marchés.

Il faut avouer que plusieurs éléments techniques expliquent pourquoi les spéculateurs ont arrêté provisoirement leurs juteuses pratiques. Tout d’abord, les cours de nombreuses valeurs, dont celles de belle qualité, avaient atteint un niveau plancher, dit de support, depuis plusieurs mois. Ceci n’était pas propice à des nouvelles ventes sur ces valorisations plus faibles.

L’inflation continue de ralentir et la probabilité d’une hausse des taux disparait

Ensuite, plusieurs données économiques ont calmé le marché obligataire. L’inflation continue de ralentir en octobre à 3 % sur un an glissant en Allemagne contre 4,3 % en septembre. La Fed, après la BCE la semaine dernière, a fait une pause dans son cycle de durcissement monétaire. Même si la porte est toujours ouverte à des hausses supplémentaires, la probabilité de cette éventualité a quasiment disparu pour le marché. De facto, après avoir touché un pic à 5,02 % le 23 octobre, le taux à 10 ans américain s’est replié à  4,66 % hier. Une stabilité du marché obligataire est un point important pour freiner la volatilité sur les actions. Selon les analystes de BofA Securities, ce  phénomène technique devrait se poursuivre davantage, même si nous ne sommes pas dans un rallye haussier, faute de perspectives positives sur les profits des entreprises.  

Des avertissements sur les résultats très douloureux

C’est la hantise des investisseurs. Les « profit warnings » ou avertissements sur les résultats se produisent quand une société annonce que celle-ci ne tiendra pas ses objectifs de rentabilité pour une année donnée.

Il s’agit d’une sorte de mea culpa face au marché financier.

Les « profits warnings » ou avertissements sur les résultats affectent les cours de bourse

Les avertissements sur les résultats sont des évènements qui affectent négativement le cours de bourse de l’entreprise. En effet, ils constituent une perte de crédibilité de la direction. Dans cette situation désagréable, la clémence des investisseurs est inversement proportionnelle à leur aversion au risque.

Le problème actuellement est que celui-ci est élevé du fait de la conjonction de plusieurs conflits armés, d’une décélération économique sur plusieurs continents et de politiques monétaires restrictives. Le baromètre est donc bas et les sanctions sont lourdes en termes de pertes. Dans cette situation, les gagnants sont les vendeurs à découvert, qui profitent des malheurs des autres.

Les investisseurs capitulent

Cette semaine, les actionnaires de Worldline en savent quelque chose puisque que le titre a perdu 59 % ce mercredi 25 octobre. Pourtant, les révisions apparaissent mineures à première vue, avec une diminution de quelques pourcents de la croissance organique. Les opérateurs ont retenu la donnée la plus négative, à savoir une diminution de 38 % du free cash-flow opérationnel.  Il est évident que cette punition est excessive, mais dû à une capitulation des investisseurs, qui se débarrassent de leurs actions quoi qu’il en coûte, faute de confiance.  

Cet excès de flux (déséquilibre entre les ordres de vente et d’achat), crée un phénomène de boule de neige qui s’amplifie au fur et à mesure de la séance.

Chute d’Alstom et d’EuroApi

Malheureusement, la liste de ces avertissements s’allonge depuis plus de 3 semaines. Ce phénomène provoque une crise d’angoisse auprès des opérateurs de marché, qui redoutent le pire et préfèrent vendre avant la publication des résultats.

Tout a commencé avec la chute de 37 % du titre Alstom le 5 octobre, suivi le 10 octobre, entre autres par celle d’EuroApi(-59%). Dans ce cas précis, le préjudice ne concerne pas uniquement les actionnaires, mais aussi le directeur général, sommé de quitter la société à la fin du mois. Les changements de direction et de stratégie sont fréquents pour écrire une nouvelle histoire et effacer le plus rapidement possible cette douloureuse facture dans les mémoires. Par la suite, la route peut être longue pour retrouver de la confiance. 

Un climat qui ne milite pas pour la pondération actions dans les portefeuilles

Dans un tel contexte et compte tenu de l’environnement incertain, de nombreux investisseurs préfèrent regagner prématurément leur tanière hivernale, en cet automne incroyablement doux. Cela ne milite pas pour augmenter davantage la pondération en actions dans les portefeuilles, mais plutôt pour être encore plus sélectifs dans le choix des valeurs.

Les interrogations pleuvent :  quel sera réellement le niveau des bénéfices pour 2023 et pour 2024 ? La baisse des indices rend les valorisations, en théorie, plus attractives.

Une prime de risque supplémentaire

Mais face à toutes ces incertitudes, le marché demande une prime de risque supplémentaire, pour pallier une probabilité plus forte de déconvenues. Pourtant, tous ces excès de ventes créent des opportunités pour ceux qui investissent sur le long terme, connaissent bien les sociétés et peuvent détecter de bonnes affaires.

Retenons les bons élèves, comme Hermes International qui affiche une croissance organique de 15,6 %, et qui reste une exception dans le luxe. Ce secteur a connu une nette décélération généralisée, touchant beaucoup d’acteurs, tels que LVMH et surtout Kering en décroissance organique de 9 %, avec Gucci en tant que marque prestigieuse en totale perte de vitesse.

Nous favorisons les Etats-Unis face à l’Europe

Finissons cet édito par une note positive, avec la croissance américaine estimée à 4,9 % au troisième trimestre contre 4,5 % comme attendue et 2,1 % précédemment. Cela nous renforce dans notre choix de favoriser les États-Unis au détriment de l’Europe. 

Oil en stock

Le monde entier retient son souffle et le bilan humain s’alourdit quotidiennement au Moyen-Orient. Les tentatives diplomatiques échouent. Elles ne réussissent qu’à trouver des solutions humanitaires bienvenues, mais qui restent dérisoires pour la population civile concernée.

Hausse des cours de l’énergie

Le fait inédit depuis plus de 40 ans est que ce nouveau conflit israélo-palestinien fait grimper les cours de l’énergie. En théorie, la zone de combats est pauvre en pétrole et ne devrait pas influencer le prix des matières premières fossiles.

La réalité est toute autre. En effet, l’implication de l’Iran en tant que soutien du Hamas et du Hezbollah fait craindre une extension mondiale de cette guerre. 

Sommes-nous à la veille d’un nouveau choc pétrolier ?

Seuls les plus de 50 ans s’en souviennent. En 1973, à la suite de la guerre du Kippour contre Israël, les pays producteurs de l’OPEP décidèrent en rétorsion d’augmenter fortement le prix du baril de brut. Celui-ci passa de 2,60 dollars en octobre à plus de 11 dollars en janvier 1974.

Cinq années plus tard, c’est à cause de la révolution iranienne de 1979, que le cours de l’or noir connut un pic à 40 dollars. Nul doute que l’appel de cette semaine de l’Iran à boycotter Israël fait resurgir ce scénario de cauchemar pour les pays consommateurs. 

Un marché actuellement en déficit

Il faut reconnaître qu’avant l’attaque du 7 octobre, le cours du Brent était dans un canal entre 80 à 90 dollars, à cause des coupes de production décidées par l’OPEP+. Cette stratégie, menée par l’Arabie Saoudite, a permis de faire baisser les stocks de brut.

Selon l’Agence Internationale de l’Énergie, les stocks des pays de l’OCDE totalisent 2,816 milliards de barils. Ces stocks sont passés en juin dernier en dessous des niveaux de 2022 et représentent l’équivalent de 58 jours des besoins nécessaires.

Ils sont dorénavant inférieurs à la moyenne des 5 dernières années de 102 millions de barils. Si l’offre a été contenue à 101,6 millions de barils jours en septembre, la demande mondiale a augmenté de 2,3 millions de barils en 2023 pour atteindre 101,9 millions de barils jour. 77 % de cette progression provient de la Chine, de l’Inde et du Brésil. Le marché est donc actuellement en déficit. Selon les estimations de Kepler Cheuvreux, ce déséquilibre atteindrait même 2 millions de baril jour au 4ème trimestre.

L’importance géopolitique dans la production de pétrole

Avant le conflit, l’Arabie Saoudite avait initié les démarches en vue d’une reconnaissance de l’État Hébreux. Ce processus est désormais gelé. L’Iran a produit 3,14 millions de barils par jour en septembre contre 9 millions pour le royaume saoudien. Les capacités disponibles de l’OPEP sont évaluées à 4,91 millions de baril jour dont 3,13 millions pour les Saoudiens et 0,95 millions pour les Émirats Arabes Unis. On voit bien l’importance géopolitique de ces pays actuellement. Pendant les dernières guerres du Golf, l’Arabie saoudite veillait à ce que le marché mondial de pétrole ne soit pas en situation de pénurie. Qu’en est-il aujourd’hui où le Premier ministre Mohammed ben Salmane affiche beaucoup moins d’affinité avec les États-Unis que ses prédécesseurs ?

Le brut et l’or : des valeurs refuges

Toutes ces interrogations et ces inconnues expliquent la bonne tenue des cours du brut, et de l’or en tant que valeur refuge. Cela renforce notre conviction de maintenir notre surpondération sur les valeurs pétrolières dans nos portefeuilles. Cependant, toutes les matières premières fossiles ne sont pas en surchauffe. Ainsi, le prix du gaz naturel TTF en Europe se situe aux alentours de 50 euros le mégawattheure, contre 100 euros l’année dernière. L’explication se trouve dans la consommation, en baisse de 18 % sur un an et le niveau des stocks, à 98 % des capacités dans l’Hexagone, selon DataGaz. Même si le conflit a fait bondir le prix du gaz de 40 %, ce sont principalement les températures qui décideront des cours ces prochaines semaines.