L’étau se desserre (hausse des actions)

C’est Noël avant l’heure en bourse.

L’indice S&P 500 a clôturé le 1er décembre au plus haut de l’année à 4594,63 points, et à 200 points de son record historique du 4 janvier 2022. L’indice CAC 40 retrouve presque le niveau de fin juillet, effaçant quasiment la vague baissière de ces 3 derniers mois. Les vendeurs ont donc eu tort à court terme de s’inquiéter de la rhétorique restrictive des banquiers centraux, même s’ils ont placé le produit de leurs cessions sur le marché monétaire.

Le marché directeur, à l’origine de ce contre-choc financier, a été l’obligataire. Les taux longs se sont fortement détendus depuis 6 semaines. À titre d’exemple, le rendement à 10 ans français (OAT) a atteint 2,73 % le 7 décembre, soit une baisse de 83 points de base (0,83 %) depuis son point haut annuel du 19 octobre.

C’est une bouffée d’air frais pour les emprunteurs, que ce soient l’État, les entreprises et les particuliers, qui peuvent solliciter des crédits à un coûts plus abordable. Cette chute (la plus forte depuis l’été 2022 en France) a eu également une répercussion positive et immédiate sur la valorisation des actions. Ainsi, la valeur aujourd’hui des mêmes flux de trésorerie opérationnels d’une entreprise est supérieure à celle de fin octobre, grâce à la seule baisse du taux d’actualisation.

Il est donc logique que les marchés actions montent. Il faut de surcroît illustrer le contexte dans lequel ce phénomène s’est produit. 20 mois après le début du cycle de durcissement monétaire le plus fort depuis 40 ans, ayant provoqué un krach obligataire en 2022, une véritable chappe de plomb pesait sur les marchés financiers. La tenaille s’est enfin desserrée, ce qui a entrainé une réallocation des actifs financiers vers plus d’obligations (à maturité plus longue) et plus d’actifs risqués. 

Parmi les actions, les titres les plus sensibles à l’évolution des taux d’intérêt ont été les plus favorisés. Il s’agit des sociétés les plus endettées et les plus chèrement valorisées. On peut ainsi citer la progression, depuis le point bas du 27 octobre dernier, de 23,44 % et de 17,70 % des indices sectoriels STOXX Europe 600 immobilier et technologie. L’importance de la vague haussière a bénéficié à quasiment l’ensemble de la cote, à l’exception des valeurs du secteur de l’énergie, dont l’indice STOXX Europe 600 pétrole & gaz a régressé de 3,68 %, du fait de la baisse du prix du brut.  

La désinflation actuelle et les signaux de faiblesse de l’activité économique sont des facteurs cruciaux, militant pour la fin du durcissement monétaire et d’un futur assouplissement.

Les questions clés sont quand et à quel niveau d’inflation verrons-nous la première baisse des taux ? Aujourd’hui, les indices des prix de base (hors alimentation et énergie) sont respectivement à 4 % et à 3,6 % aux États-Unis et en zone euro.

Ces données sont encore trop fortes pour permettre à la Fed et à la BCE de déclarer la victoire définitive sur l’inflation. Selon nous, il faudrait que ces données soient inférieures à 3 % pour que ces institutions enclenchent la baisse de leurs taux directeurs. Par conséquent, le calendrier autour du mois d’avril, anticipé par les investisseurs semble prématuré.

Nous pensons que les taux devraient donc se retendre ces prochaines semaines, entraînant une contraction probable des indices actions. Toutefois, tant que la désinflation se poursuit, le scénario d’un assouplissement monétaire n’est que retardé et le potentiel de correction semble limité, sauf si la contraction légère de l’activité cède la place à une récession plus dure. Dans ce cas, les taux longs des emprunts d’États devraient davantage baisser, mais le prix des actions également, du fait d’une forte détérioration des estimations de résultats des entreprises. Cette corrélation positive entre le prix des obligations et des actions cèderait la place à une corrélation inversée. 

Mouvement haussier : de la déprime à l’euphorie

Décidément, les mois se suivent et ne se ressemblent pas. Les indices actions viennent de signer une des meilleures performances de leur histoire pour un mois de novembre (la deuxième plus forte progression depuis 1980 pour l’indice S&P 500).

Les investisseurs sont donc passés de la déprime à l’euphorie en quelques semaines. 

L’ambiance était pesante à la fin du mois d’octobre, après trois mois de baisse des marchés actions. La rhétorique dure des banques centrales, avec en perspective l’absence d’assouplissement de politique monétaire dans un contexte de ralentissement en Europe et en Chine, constituait un mauvais cocktail pour les marchés.

Rien ne présageait donc ce fort mouvement haussier, si ce n’est une saisonnalité plus favorable et des indicateurs techniques nettement survendus. Les vendeurs à découvert ont initié le mouvement, cristallisant leurs gains en se rachetant dès le 27 octobre. Ensuite, tout s’est accéléré, avec des éléments macroéconomiques moins tendus.

Le marché du travail et l’activité aux États-Unis ont commencé à donner des signes de faiblesse après une accélération estivale, avec des créations d’emplois et des indice PMI pour le mois d’octobre inférieurs aux attentes. Le chômage est ainsi remonté à 3,9 %, soit son plus haut niveau depuis janvier 2022. Moins sous pression, les banques centrales n’ont pas modifié les taux directeurs lors de leurs dernières réunions.

De surcroît, le véritable détonateur a été la nette décélération de l’inflation, annoncée dès le 14 novembre outre-Atlantique, avec des prix stables sur un mois en octobre et en progression sur un an glissant de 3,2 %, contre 3,7 % le mois précédent.

Cette tendance a été également confirmée en zone euro, avec une inflation nominale sur un an glissant de seulement 2,4 % en novembre. Soit son niveau le plus faible depuis juillet 2021, après avoir connu un énorme pic à 10,7 % en octobre 2022.

Sur un mois, les prix ont même régressé pour l’indice nominal et celui de base, de 0,5 % et de 0,6 % respectivement. Les conséquences sur le marché obligataire d’une désinflation plus prononcée ont été immédiates : une baisse mensuelle des rendements à 10 ans de 0,60 % outre-Atlantique. Et d’une violence inédite depuis décembre 2008.

Cela fait donc 15 ans que nous n’avions pas connu un rallye obligataire aussi fort en aussi peu de temps. En Europe, les taux longs allemands ont régressé de 0,36 %, soit une baisse identique à celle de mars dernier.

Désormais, les investisseurs ont tourné la page du durcissement n’anticipant plus de hausses des taux directeurs de la Fed, ni de la BCE. Ils prévoient même une détente à partir d’avril et une baisse respective de 1 %, d’ici fin 2024. Ces fortes contractions des rendements provoquent également des arbitrages en faveur du marché des actions.

De nombreuses valeurs du CAC 40 ont connu des hausses mensuelles inédites depuis novembre 2021, enregistrées à l’époque lors de la publication des données préliminaires des vaccins anti-Covid. La palme revient à Unibail-Rodamco-Westfield (+25,12 %), suivie de STMicroelectronics (+20,78 %). 

La belle performance de novembre 2021, avait été suivie par un beau mois de décembre.

Historiquement, la saisonnalité est plutôt favorable sur décembre et janvier, car les investisseurs sont épris d’un vent d’optimisme, laissant supposer que l’avenir est plus prometteur que le présent.

Statistiquement, un investisseur a une probabilité respective de 69 % et de 61 % de gagner de l’argent en décembre sur l’indice S&P 500 et CAC 40.  

Par conséquent, en l’absence de nette tension sur le marché obligataire, la tendance à court terme reste favorable. En effet, il est normal que les multiples de valorisation se tendent quand les taux baissent. De plus, l’indice de volatilité implicite VIX (véritable indicateur de stress du marché) a retrouvé ses plus bas niveaux de 2023. Preuve de la sérénité actuelle des opérateurs.

Nous sommes les premiers à trouver que les anticipations de croissance des profits des entreprises sont excessives pour 2024, mais que le retour à la réalité pourrait intervenir à partir de mi-janvier plutôt que début décembre. 

Sam s’en va et ça revient

« Rendez-nous notre patron, ou nous démissionnons tous ! »

Vous l’avez compris, cette revendication caricaturée n’émane pas des ouvriers de chez Renault, ni des employés de la SNCF. Mais bien de ceux d’OpenAI, institution basée à San-Francisco et spécialiste de l’intelligence artificielle.

Nous ne sommes évidemment pas en France, mais dans le fief de la technologie américaine. La lettre signée par 702 collaborateurs et adressée au conseil d’administration, à la suite du départ du directeur général et cofondateur, Sam Altman, est sans ambiguïté.

« Votre action a mis en évidence votre incapacité à superviser OpenAI. Nous sommes incapables de travailler pour des gens qui manquent de compétences, de jugement et de soin pour notre mission et les employés. Tous les soussignés, pourrions démissionner et rejoindre Sam Altman et Greg Brockman chez Microsoft… Nous pourrions prendre cette décision immédiatement, sauf si tous les membres de ce conseil démissionnent».

Il s’agit d’un évènement extrêmement rare, même au pays de l’Oncle Sam. Il faut dire que tout est atypique dans l’histoire de cette organisation. 

OpenAI Inc. a été créée en décembre 2015. La structure juridique choisie par ses fondateurs (Sam Altman, Greg Brockman, l’illustre Elon Musk et d’autres chercheurs visionnaires) est celle d’une société à but non lucratif.

Cela permet de bénéficier, au même titre que les églises, les hôpitaux publiques, ou les organisations caritatives, d’une exemption fiscale sur les profits générés. En contrepartie d’absence d’actionnaires ou de profits restitués à des bénéficiaires. Le choix est initialement adapté car au tout début de l’aventure, la mission est entièrement noble. En effet, il s’agit de promouvoir et de développer la recherche sur l’intelligence artificielle pour le bien-être de l’Humanité.

Un changement important intervient le 11 mars 2019. OpenAI Inc. annonce la création d’OpenAI LP (Limited Partnership), une société à but lucratif détenue par les fondateurs d’OpenAI.  

L’objectif est d’attirer de nouveaux investisseurs afin d’accélérer le développement de l’intelligence artificielle. Donc mieux servir la mission de la société.

Les nouveaux actionnaires trouvés sont en fait les donateurs présents à l’origine du projet, qui contrairement aux fondateurs, ne disposent pas de droit de vote. Mais ces derniers peuvent bénéficier de la commercialisation des technologies développées par OpenAI. Open AI LP est baptisée en interne société aux profits limités à 100 fois l’investissement de chaque partenaire. 

Le véritable changement de dimension arrive le 22 juillet 2019, quand Microsoft signe un partenariat avec OpenAI pour devenir leur fournisseur exclusif de cloud, avec à la clé un chèque d’un milliard de dollars. Deux autres milliards sont injectés en 2021, avant l’annonce ce 23 janvier 2023 de l’extension du partenariat d’origine et un investissement pluriannuel de plusieurs milliards de dollars. Le succès fulgurant de ChatGPT, assistant virtuel et agent conversationnel, utilisant de l’intelligence artificielle, explique ce nouvel accord signé. Il faut dire que la révolution est bien en marche et que l’usage de l’intelligence artificielle se généralise au quotidien. La progression de plus de 206% sur un an des revenus trimestriels de Nvidia (principal fournisseur de puces et autres composants nécessaires aux équipements utiles à l’intelligence artificielle) le démontre bien.

Les statuts d’OpenAI Inc. stipulent que les membres du conseil ont le droit exclusif d’élire ou de révoquer les administrateurs existants ou supplémentaires. Par conséquent, le départ de Sam Altman provient forcément d’un désaccord avec les autres membres. Ce fut le cas avec Elon Musk en 2018. Officiellement pour conflits d’intérêts (à cause de Tesla, gros débaucheurs d’ingénieurs).

La menace des employés a fonctionné. Une annonce récente sur X stipule le retour de l’ex-dirigeant. Et concomitamment la démission du conseil existant, à l’exception d’un seul membre.  

OpenAI Inc. vient donc de vivre un renouvellement historique de son conseil d’administration, désormais plus favorable à Sam Altman.